CHAPITRE 32
L'ISLAM A L'EPOQUE D'INDEPENDANCE

Partout en Afrique occidentale la période d'indépendance a vu naître une tension entre l'Islam traditionnel, particulièrement représenté par les fraternités soufiques, et l'Islam réformiste d'inspiration arabe ou iranique. A coté de ces oppositions il y a eu le phénomène de l'Islam d'état qui voulait dire que les autorités musulmanes contrôlent et utilisent l'Islam pour leurs propres intérêts, y mélangeant des considérations pragmatiques qui ne s'accordent pas tellement avec l'Islam.

Au Nord du Nigeria l'Islam d'état revient à la période coloniale quand les Britanniques pratiquant avec le système du gouvernement indirect par les émirs et les chefs instituèrent des gouvernements régionaux et provinciaux parallèles et supérieurs à "l'autorité autochtone". A la fin, les émirs perdirent leur autorité, n'en gardant que les apparences. Pendant les vingt premières années de l'indépendance les émirs perdirent le contrôle de la police, des cours, des prisons et des taxes. Seules les fonctions cérémoniales leur revenaient. Le pouvoir réel passa à une agglomération amorphe des groupes d'intérêts commerciaux, politiques et tribaux, tantôt se rivalisant entr'eux, tantôt coalisant. Quelques détenteurs du pouvoir sont en évidence, occupant des postes politiques; d'autres opèrent secrètement. Tous sont motivés à partager le gâteau national. Au fond ils sont laïcs de coeur, utilisant l'Islam seulement comme du vernis. L'Islam du Jama`atu Nasril Islam et du Conseil Suprême pour les Affaires Islamiques sont les véhicules de l'Islam d'état.

Les derniers jours de la première république (1960-1964) furent marqués par une campagne très forte d'islamisation dirigée par le premier ministre du Nord, Ahmadu Bello. Celui-ci fut un personnage extraordinaire qui manipula les intérêts des fraternités soufiques, des réformistes et de l'Islam d'état. La tension religieuse fut soutenue par des émeutes et la guerre civile de la première période militaire, comme cela se confirma par la prise des écoles et des hôpitaux religieux après la guerre (dès 1970).

Généralement les politiciens pragmatiques de la Seconde République avaient essayé de maîtriser les controverses ou polarisations religieuses. D'une part ils avaient encore plus de peur de la dissension interne de l'Islam, telle celle qui existait entre les fraternités soufiques et les mouvements d'Izala et de Maitatsine. D'autre part ces politiciens répondaient aux demandes des réformistes pour l'établissement de la Sharî`a et la promotion musulmane. Ils le faisaient de plusieurs manières, notamment par la prohibition de l'alcool à Sokoto, l'annonce par le Président Shagari de l'érection d'un comité consultatif présidentiel concernant les affaires islamiques, et enfin la sensibilisation des Musulmans de Sokoto et de l'état d'y de voter pour le parti N.P.N.

Le militaire qui prit le pouvoir le 1er janvier 1984 continua à respecter les intérêts musulmans. Ibrahim Babangida (25 août 1985-1993) fomenta plus de tension en introduisant la nation dans l'O.C.I. En fait il y avait plusieurs émeutes sérieuses au Nord entre 1987 et 1992. L'annulation des élections du 12 juin 1993 par Babangida pouvait plonger le pays dans une guerre religieuse très atroce, laquelle fut évitée grâce au fait que les deux candidats furent musulmans.

Les autorités musulmanes essaient généralement de montrer que ce qu'ils font est islamique mais très peu de gens en sont convaincus. Dans cette situation les jamâ`as islamiques de chaque tendance prospèrent en exprimant et exploitant le sentiment religieux authentique du peuple. Les premiers de ceux-ci sont les fraternités soufiques. Malgré l'opposition des mouvements puritaines d'inspiration Wahhâbite, ces fraternités sont tellement enracinées dans la tradition africaine qu'elles ne semblent pas être en voie de disparition. Elles servent non seulement d'accueillir et d'intégrer les Musulmans migrants dans les villes lointaines de chez eux mais aussi de leur apporter de l'aide et de l'attention spirituelle dans la condition où ils se trouvent, leur offrant des amulettes et autre remèdes contre les mauvais esprits, les ennemis, les maladies et tout obstacle au succès. Il y a même des prédicateurs musulmans qui imitent les cultes chrétiens, avec les danses, les chants, les témoignages et les invitations du peuple aux miracles.

Les Musulmans frustrés de la basse classe se rallièrent au mouvement Maitatsine qui fut influent de 1960 jusqu'à son abolition brutale en 1980 et peu après. Fondé par Muhammad de Maroua au Cameroun, ce mouvement s'enracina à Kano, attirant les chômeurs, mais en outre, compte-tenu de la réputation du pouvoir spirituel de son fondateur, il bénéficiait d'un appui secret de certains hommes influents.

Combinant une vieille tradition Mahdiste avec un fanatisme qui ressemblait au Khârijisme du jadis, il s'éclata en émeutes frénétiques à Kano en décembre 1980, à Maiduguri en octobre 1982 et à Yola en février 1984. Dans les enquêtes sur les émeutes, aucun représentant de la secte n'était interviewé pour parler de leur point de vue.

Le principal opposant réformiste aux fraternités soufiques a été l'Izala, fondé par Abubakar Gummi (m. 1993). Ce mouvement a recruté de nombreux adhérents, surtout parmi les jeunes qui n'avaient rien à perdre. Pendant ces dernières années on a constaté plusieurs violents épisodes à travers le Nord du Nigeria, opposant les membres d'Izala aux autres Musulmans. Dernièrement cette violence s'est tournée contre les Chrétiens. Il y a aussi un autre mouvement similaire, les Frères Musulmans, appelés quelques fois Shî`ites, à cause de leurs liens avec l'Iran.

Nous avons encore la Société des Etudiants Musulmans fondée à Lagos en 1954. Elle s'est développée dans une organisation nationale qui est affiliée à l'Assemblée Mondiale des Jeunes Musulmans. Cette assemblée fut créée en 1972 sous l'égide de l'O.C.I. Ce mouvement est devenu radical; il rejette la constitution nigériane et tout ce qui n'est pas islamique. Il est fréquemment impliqué dans les troubles et les émeutes.

Dans les pays de l'Afrique de l'Ouest en dehors du Nigeria, les relations entre Chrétiens et Musulmans ont été cordiales pendant la période d'indépendance. Ceux de ces pays qui entendent dire ce qui se passe au Nigeria sont choqués et ils espèrent que de tels problèmes religieux ne s'introduiront pas dans leurs pays.

En Afrique de l'Est, on trouve les Musulmans non seulement dans leur régions de concentration traditionnelles sur la côte, à la frontière entre le Kenya et la Somalie, et le long du lac Victoria mais aussi dans chaque ville. On a constaté l'intolérance des non-Musulmans surtout au Soudan où l'arabisation forcée et l'islamisation ont été la politique constante depuis l'indépendance. Pareille intolérance fut manifestée pendant le régime bref mais terrible d'Idi Amin en Ouganda. L'hostilité envers les Musulmans provenant de l'époque qu'ils pratiquaient la chasse d'esclaves a cédé à une coopération cordiale, mais dans ces dernières années le radicalisme islamique a suscité une tension renouvelée.

QUESTIONS:

  1. Esquissez les tendances opposantes entre l'Islam pendant la période d'indépendance.
  2. Décrivez comment l'Islam d'Etat a été pratiqué au Nigeria indépendant.
  3. Décrivez le rôle des fraternités soufiques au Nigeria indépendant.
  4. Décrivez le rôle des sociétés réformistes au Nigeria indépendant.
  5. Esquissez ce qui contribue à la tension religieuse et ce qui contribue aux relations cordiales en Afrique.
Au chapître 33