CHAPITRE 29
LA CHUTE DU SONGHAY ET LA SURVIVANCE DU BORNOU

A la fin de la décade de 1580, pendant que les ennemis du Maroc l'Espagne et la Turquie ottomane étaient occupés par la guerre, le Maroc focalisait son attention sur le Sahara et essayait de contrôler les routes du commerce transsaharien. En 1586 les Marocains prirent Taghâza de Songhay. Par la suite Askiya al-Hâjj (1582-6) fit un décret de boycottage du commerce de Taghâza. Al-Manûr fut exaspéré par le succès de cette action et par les insultes de l'Askiya suivant, Ishâq II, à ses menaces de le déposer. Ainsi il envoya Judar Pacha avec une armée de 4.000 hommes y compris plusieurs mercenaires européens, contre Songhay.

D'abord Judar Pacha prit les mines de sel de Taghâza et ensuite marcha à travers le désert. Les troupes marocaines bien qu'épuisées par la marche au désert conquirent le Songhay sans difficulté, car ils combattaient avec des armes à feu contre les arcs, les lances et les épées du Songhay. A leur entrée à Gao, cette ville leur semblait si humble et pauvre que Judar Pacha la quitta pour Timbuktu après 17 jours. La résistance fut éliminée graduellement, mais les Marocains n'ont rien profité de leur conquête. L'ancien commerce de l'or et des esclaves avec le Nord de l'Afrique était fortement réduit et les Marocains ne pouvaient même plus garantir leur sécurité. Par conséquent, au dix septième siècle, Timbuktu, Jenne et Gao devenaient tous les proies des ennemis voisins, comme les Bambara de Segou ou les Tuaregs du Sahara ou les Peuls qui commençaient d'émigrer du Sénégal vers l'Est.

Aucun empire ne prit la place de l'empire Songhay jusqu'aux mouvements de jihâd au dix huitième siècle. Il est difficile d'organiser et de maintenir un empire même dans les meilleures conditions. Néanmoins le siècle d'arrêt ne pouvait pas être l'effet simplement de l'invasion marocaine. La raison principale du déclin du Soudan à cette époque fut l'occupation turque de la plupart des terres du Nord d'Afrique. Les Turcs commencèrent par prendre l'Egypte en 1517 et Alger en 1525. La côte nordique de l'Egypte jusqu'à l'Alger devint une partie de l'empire ottoman. Celui-ci s'étendait à travers tout l'orient et le Nord-Est de la Méditerranée jusqu'aux bords de l'Autriche. Les Turcs du Nord de l'Afrique s'occupaient simplement des villes et des territoires situés le long de la côte. Leur attention était tournée vers le monde méditerranéen et Istanbul. Ils abandonnaient le Sahara aux Bédouins et à leurs shaykhs. A la même période, les minerais d'argent et d'or américains coulaient en Europe. Ceci tourna l'attention des Européens de l'or africain qui était difficile à obtenir sur les côtes de l'occident et du Nord de l'Afrique. Comme le terminus nordique du commerce transsaharien était coupé, les empires sub-sahariens n'avaient d'autre choix que de mourir. Il a fallu attendre le renouveau du commerce dans l'Atlantique pour revivifier l'organisation des empires.

Les minorités musulmanes restant après la dissolution de Songhay s'organisèrent en petites communautés ou jamâ`as qui répondaient à leurs besoins: religieux, économiques, de défense,etc. Néanmoins la plupart d'eux ne pouvaient pas éviter la domination païenne qui ne favorisait pas la pratique stricte de l'Islam. Les considérations économiques vinrent renforcer les impulsions religieuses de faire le jihâd pour changer la situation. Le commerce atlantique stimula la naissance de plusieurs empires côtiers, comme le Bénin, le Oyo, le Dahomey et l'Ashanti. Les routes de tous ces états allaient jusqu'à l'intérieur, formant des états de jihâd pour profiter du nouveau marché.

Pendant ce temps, Kanem/Bornou survivait parce qu'il fournissait des esclaves pour la route du Sahara central. Ume Jilmi (1085-97), dit-on, fut le premier Mai (roi) du Kanem à se convertir à l'Islam, probablement suite à la présence d'une communauté musulmane étrangère et de ses relations avec l'Afrique du Nord. Il mourut pendant son pèlerinage à la Mecque. Son successeur, Dunama I (1097-1151), alla trois fois en pèlerinage. Malheureusement il se noya dans la Mer Rouge pendant le troisième pèlerinage. La mère du Mai portait le titre "Magira" et détenait un grand pouvoir dans le royaume. C'est ce qui montre la force des traditions africaines telle que le matriarcat. Selon la tradition, le roi est plus qu'un mortel et devait se cacher au public. Cette coutume était aussi observée au Bénin. Mai Dunama II Dibbalemi (1221-59) étendait l'autorité du Kanem sur Fezzân. Il travailla pour la promotion de l'Islam et établit un foyer au Caire pour les étudiants kanemis. Aussi il établit des relations diplomatiques avec al-Mustanir, le dirigeant Hafsid de Tunis. Il lui envoya un présent d'une girafe.

Pendant les deux siècles après Mai Ume Jilmi, le pouvoir politique du Kanem se développa aussi. Les peuples voisins étaient les premiers subjugués et assimilés par l'adoption de la langue Kanuri, l'Islam et la loyauté au Mai. L'assimilation ethnique et religieuse affecta moins les gens de la campagne, et plusieurs régions de l'empire n'étaient gouvernées qu'indirectement ou étaient des états tributaires indépendants. A la fin du treizième siècle l'empire s'étendait du Kanem à l'Est du lac Tchad à Bornou à l'Ouest, et au désert dans la plus grande partie du Fezzân.

Mai Dâwûd (1353-56) menait non seulement une guerre civile, mais aussi l'agression extérieure des Bulala, peuple vivant à l'Est du Kanem. Pendant le règne du Mai `Umar (1380-88) la famille royale abandonna le Kanem aux Bulala et s'en fuit au Bornou, où les immigrants kanuri procédaient à subjuguer et à assimiler graduellement les So autochtones. Le conflit dynastique provoqua une anarchie au Bornou. Enfin Mai `Alî Gaji Dunama (1476-1503) restaura la stabilité et la paix. Il construisit Ngazrgamu qui fut la capitale du Bornou jusqu'en 1811. Son fils, Mai Idrîs Katakarmabe (1503-26), reconquit Kanem. Les Mais maintenaient des relations diplomatiques avec Tripoli que les Turcs ottomans conquirent en 1551. Les Ottomans à Tripoli (à la différence de ceux d'Alger) continuèrent le commerce transsaharien, surtout celui des esclaves. Grand nombre de ces esclaves étaient destinés à l'armée égyptienne. On trouvait déjà au onzième siècle 30.000. troupes de noirs au Caire. Il y avait aussi des femmes qui étaient déstinée aux chambres à coucher des skaykhs arabes au Nord de l'Afrique et Moyen-Orient. L'empire Bornou devait son existence à la demande des esclaves, et à cause de cela il conduisait des raids contre les peuples du Sud. L'or ne passait pas au Nord de l'Afrique par Bornou. Au moins l'ivoire était la seconde matière d'exportation. Comparativement à Songhay, l'empire Bornou, dit-on, servait seulement les intérêts d'un commerce oligarchique en important des biens luxueux pour leur plaisirs, mais oubliait l'homme commun.

QUESTIONS:

  1. Qu'est-ce qui explique la mort du Songhay et le silence prolongé d'un état successeur?
  2. Expliquez l'organisation d' une jamâ`a. Comment elle pouvait à la fois organiser la guerre et la politique et servir à la religion?
  3. Pourquoi Kanem/Bornou survécut-il quelques siècles plus que Songhay?
Au chapître 30