CHAPITRE 25:
L'ISLAM AU SAHARA ET EN AFRIQUE DE l'OUEST

Reconnaissons qu'à l'époque romaine, l'Afrique du Nord avait très peu de contact avec l'Afrique Occidentale. Mais avec leurs chameaux, les Arabes et leurs alliés berbères fréquentaient librement le désert, attirés par l'or et les esclaves. Pour cette raison, `Uqba fit un raid profond dans le désert libyen. Il demandait 360 esclaves à chaque ville qu'il visitait. Loin à l'Ouest, Habîb ibn-abî-`Ubayda, petit fils de `Uqba, fit un raid à Sûs (au Sud de Maroc) et à la terre des noirs. Il remporta une victoire exceptionnelle sur eux et prit tout l'or qu'il voulait; il captura aussi quelques jeunes filles. Depuis cela, pendant plusieurs années l'or était la principale marchandise à exporter de l'Ouest au Nord de l'Afrique tandis que les esclaves étaient la principale marchandise à exporter de l'Afrique centrale. `Uqba était ensuite entré dans les légendes des tribus Kunta du Sahara occidental et des Peuls du Sahel occidental.

Pendant que cette exploration avait lieu, au Nord de l'Afrique, l'oppression arabe des Berbères les incitait à la révolte et à l'adoption du Khârijisme qui enseignait l'égalité des Musulmans. Les Berbères prirent Ceuta et réduisent à la servitude ses habitants, mettant fin à la communauté chrétienne qui avait un statut de tolérance sous les termes de capitulation dix ans précédemment. Après Ceuta, les Berbères se dirigèrent vers l'Est où ils défièrent les Arabes. Une armée de 12.000 hommes était dirigée contre eux en 746 mais en vain. Après cette victoire, les Berbères allèrent conquérir Qayrawân en 755; ils le gouvernèrent jusqu'en 767. A l'Ouest de l'Algérie, Tâhirt devenait la capitale de l'état berbère khârijite. Cet état contrôlait toutes les premières opérations commerciales du Sahara parce qu'il gérait le quart des routes commerciales du coté du Nord. Il y en avait plusieurs: Une route occidentale partait de Sijilmâsa passant par la ville de Taghâza qui contenait les minerais de sel, continuant à Audaghust à la lisière du désert. Encore quinze jours de voyage pour attendre la capitale du Ghana.

Une autre route allait de Wargla à Tadmakka, une autre colonie musulmane sur le bord du désert située à neuf jours de voyage à Gao. Plus à l'Est une route partait de Tripoli qui à ce moment était sous le contrôle de Tâhirt passant par la nouvelle ville de Zawîla jusqu'à l'état du Kanem, au bord du lac Tchad. Ce fut le Khârijisme Ibâdite qui dominait toutes les routes de l'Afrique sub-saharienne jusqu'à l'arrivée des Murâbits au milieu du onzième siècle.

Grâce à leur contact avec les Arabes et leur intégration dans le commerce transsaharien plusieurs tribus berbères du désert se convertirent à l'Islam. Curieusement tous les premiers avant-postes musulmans dans le désert comme au Sahel se distinguaient par leur identité musulmane. Parmi eux, nous comptons Awdaghust et Tadmakka qui servaient comme des stations musulmanes pour sauter dans les deux pays voisins, à savoir le Ghana et le Gao. En plus, le Ghana et le Gao étaient composés chacun de deux villes dont l'une était pour les indigènes et leur roi, et l'autre pour les Musulmans. Nous connaissons très peu de la vie des communautés arabes musulmanes en Kanem, à l'exception de Zawîla qui fut un important relais pour le commerce d'esclaves au Nord. Cependant nous pensons qu'ils avaient eu des colonies à l'intérieur du Kanem.

Le développement du commerce transsaharien avait un impact politique non négligeable en Afrique de l'Ouest. Lorsque la vie économique était plutôt élémentaire, les structures politiques l'étaient aussi. Toutefois le besoin d'organiser un commerce de longue distance contribuait à la formation des royaumes ou des empires beaucoup plus vastes. Dans tout ceci, les Arabes furent des fournisseurs des chevaux et des armes. Au fur et à mesure que ces royaumes grandissaient, leurs souverains désiraient la présence des commerçants et clercs musulmans. Même si peu de gens sont devenus musulmans avant le onzième siècle, ce petit nombre était attiré à l'Islam pour plusieurs raisons:

1) Les Musulmans apportaient beaucoup d'avantages économiques du commerce à longue distance. Ces avantages seraient plus grands et plus certains si le roi acceptait lui-même l'Islam étant donné que cela lui réservait une citoyenneté dans la umma musulmane. Comme ça, il était égal et frère à ses partenaires commerçants. Il pouvait alors jouir de leur respect et de leur soutien dans ses transactions commerciales montrant ainsi la fausseté de l'avertissement du juriste al-Qayrawânî de ne pas aller commercer au Soudan. Au fur et à mesure que l'Islam se répandait, le commerce et le transport devenaient un monopole musulman. Ce phénomène força les commerçants à adopter l'Islam comme faisant partie du club.

2) La présence des érudits musulmans était vivement souhaitée parce qu'ils fournissaient un élément important dans l'infrastructure du commerce à longue distance, notamment la correspondance écrite en arabe. Ce dernier était la seule langue internationale de l'Afrique de l'Ouest jusqu'à l'introduction du portugais sur la côte au quinzième siècle et du français et de l'anglais au dix neuvième siècle. Ceci rendait possible la commande des biens provenant de loin et la maintenance d'un système bancaire et de crédit. A la même époque, les Musulmans assuraient la fonction publique dans les royaumes au Soudan en expansion parce que leur degré d'alphabétisation les rendait seuls compétents dans l'administration. Comme les Musulmans instruits en arabe se propageaient de concert avec les commerçants à travers le Sahel, il y avait peu d'endroits où un voyageur ne trouvait pas d'interprète pour entrer en contact avec la société locale. Ainsi tombait la nécessité d'un commerce silencieux entre les peuples de différentes langues.

3) Concurrençant la religion traditionnelle, les clercs musulmans avaient une diversité de panacées religieuses à administrer, avec des prescriptions spécifiques pour chaque maladie ou pour autres problèmes de la vie. Ces remèdes se prenaient en forme de sirop de l'encre nettoyée des tableaux avec les écrits qur'âniques. Ils offraient aussi des talismans à porter, des prières à réciter ou autre chose à faire. Les textes arabes du Qur'ân étaient regardés comme puissants et admirables dont les secrets pourraient être possédés par une étude patiente et une initiation comme c'était le cas pour les secrets de la religion traditionnelle. Les rites du culte islamique étaient aussi fascinants pour les Africains parce qu'ils se passaient en commun et avaient une atmosphère de festivité et de solennité théâtrales.

4) Les Musulmans toléraient à l'intérim le comportement d'un roi qui se convertissait à l'Islam tout en continuant le culte de sa religion traditionnelle. Le roi pouvait enjamber une barrière parce qu'il était considéré comme le père et le grand-prêtre de tout le peuple. Et si peu ou nombreux de ses citoyens embrassaient une religion particulière sans menacer son pouvoir, on attendrait de lui de résider leurs cérémonies religieuses. Il restait ainsi le chef de tous les groupes religieux et il ne les abandonnait pas pour passer à une opposition politique.

5) Pour les rois, l'Islam était un soutien convenable à leur autorité impériale. C'était une idéologie unificatrice jetant des ponts entre plusieurs tribus. L'Islam élargissait la fraternité, la citoyenneté ou la nationalité. Ceci a donné naissance au phénomène d'un "Islam d'état", par lequel l'Islam était contrôlé et utilisé pour promouvoir les intérêts des autorités politiques.

6) Il y avait aussi un facteur psychologique qui contribuait à la conversion à l'Islam. C'était l'expérience internationale de ceux qui étaient engagés dans le commerce à longue distance. La religion traditionnelle se limitait à un système politique et à une culture de village, ayant ses propres dieux locaux, ses esprits et ses ancêtres. Par contre, l'interaction culturelle et économique entre tribus nécessitait une structure universaliste sociale, politique et religieuse. La vision islamique de l'univers comme étant gouverné par un seul Dieu qui a droit d'être adoré d'une seule façon par une seule communauté mondiale de croyants, explique pourquoi ses champions étaient premièrement la classe commerçante et des clercs qui l'accompagnaient. D'autre part, les fermiers n'ont point opté pour l'Islam tandis que leurs chefs étaient de part et d'autre, depuis que leurs intérêts vacillaient entre le monde traditionnel et celui ouvert par le commerce et l'empire. Les bergers, comme les peuls, étaient hybrides comme les rois, à cause de leur attachement aux liens claniques d'une part, et d'autre part à cause de leur ouverture à la société plus large qu'ils rencontraient par leurs migrations.

7) Ce roi qui acceptait l'Islam recevait une immunité légale devant les attaques des autres Musulmans. Puisque à part l'Islam, les nomades du désert avaient l'habitude d'attaquer les fermiers, et puisque l'Islam, selon la croyance commune des Musulmans, les encourageait à attaquer les incroyants, un roi aurait un motif fort de devenir musulman pour se mettre en garde contre ces attaques.

QUESTIONS:

  1. Expliquez pourquoi le commerce transsaharien se développa quand les Arabes prirent le Maghrib.
  2. Expliquez l'impact du commerce transsaharien sur la politique de l'Afrique de l'Ouest.
  3. Expliquez l'attrait qu'avaient les rois africains pour les commerçants musulmans et pour l'Islam.
Au chapître 26