CHAPITRE 21:
LE DEVELOPPEMENT DU SÛFISME

Le Sûfisme est un mouvement en Islam portant sur la vie de la prière. Il s'efforce d'aller au-delà du simple rituel externe du allât obligatoire en insistant sur l'aspect intérieur de la prière et en faisant l'expérience de Dieu directement en tant que vraie réalité (al-haqq). Dans la poursuite de cette expérience les fraternités sûfiques ont développé une grande variété de prières structurées supplémentaires. Les premiers groupes de ûfîs au deuxième siècle après Muhammad avaient l'habitude de porter un habit religieux fait de laine (= sûf en arabe), donnant ainsi lieu au nom "Sûfism" ou "Sûfî" pour un membre du mouvement. Outre la satisfaction du besoin religieux, le sûfisme reposait sur l'insatisfaction de l'homme dans la vie mondaine et corrompue de la classe dominante musulmane.

Dès le début, l'Islam se préoccupait à la fois du monde à venir et ceci avec l'adoration de Dieu dans l'attente des récompenses de la vie après la résurrection et de la reforme de la société. Ces deux préoccupations ont donné lieu à une certaine tension. Beaucoup de Musulmans de la première époque commençaient à s'adonner à de longues sessions de prière, à des veillées et jeûnes, mais après que Muhammad et ses disciples aient émigrés de la Mecque à Médine, ils devaient abandonner ces pratiques à cause des exigences de la guerre et de l'activité politique. Dans l'Islam d'après, cette tendance activiste fut reflétée dans les Hadîths condamnant le monachisme.

Néanmoins, le Qur'ân était une invitation pressante à la concentration directe sur Dieu et son adoration. Tout au long du Qur'ân on trouve une proclamation de la puissance de Dieu sur toute la créature, sa connaissance de tout ce qui existe, y compris les secrets des coeurs des hommes, sa différence de tout ce qui vient et va, pourtant toute sa proximité à tout qui se passe (50:16; 2:115,186), sa gentillesse, mais aussi son austérité contraignante. Même avec la négation de tout partage dans la nature de Dieu ou d'union avec lui, le Qur'ân parle du rapprochement de Dieu, de la vision de Dieu dans la vie future (75:23) et de la valeur d'être sans cesse conscient de Dieu et de donner préférence à sa faveur plutôt qu'aux biens passagers de ce monde (55:26-27).

Parmi les premiers Sûfîs, un des plus grands fut Râbi`a al-`Adawiyya (+ 801), une femme recluse. Prêchant l'amour désintéressé de Dieu, elle allait une fois portant une torche dans une main et un bidon d'eau dans l'autre. Quand on lui demanda ce qu'elle allait faire, elle répondit, "Je vais brûler le paradis et éteindre les feus de l'enfer, pour que ces deux écrans puissent tomber des yeux des hommes et qu'ils puissent voir Dieu sans raison d'espoir ou de crainte. Il est si mauvais que les hommes ne puissent pas adorer et obéir à Dieu sans ces deux motifs". Elle parlait aux Musulmans qui ne voyaient pas que la joie céleste consistait d'abord à voir Dieu et non à la jouissance de délices du jardin du Paradis.

A cette époque d'autres Sûfîs élaborèrent des théories des étapes dans la vie spirituelle, enseignant que seule la vision de l'essence divine donne un bonheur parfait. Ils insistaient sur la formation ascétique pour parvenir au centre de l'être de soi, et d'y voir comme dans un miroir des attributs de Dieu. Leur absorption en Dieu dans l'extase les conduisait à développer des théories sur l'union avec Dieu.

Al-Hallâj (858-922) est le plus grand des premiers Sûfîs. Dès le bas âge il était associé à des cercles Sûfiques. Rentré à Baghdad après un pèlerinage à la Mecque en 895, il commença à prêcher à toutes les classes de la population, les exhortant de se repentir à cause du jugement imminent de Dieu, de s'offrir à Dieu dans la prière et de l'aimer. Il avait offensé les chefs religieux en faisant des merveilles et en enseignant qu'un homme peut être si parfaitement joint à Dieu que ses actions deviennent des actions de Dieu aussi bien que les siennes. Al-Hallâj fut alors accusé (1) d'avoir assumé l'équivalent du rôle prophétique et (2) d'enseigner l'idée manichéenne selon laquelle l'âme est une étincelle divine emprisonnée dans le "coeur et gravitant autour de Dieu", et (3) d'avoir dit des choses telles que "Je suis la Vérité (Dieu)" au moment de l'extase. En 922 il fut condamné à mort, fouetté, coupé, crucifié et décapité; la cendre de son corps brûlé fut jetée dans le Tigre. Un passage dans l'un de ses poèmes dit, "Je mourrai dans la religion de la croix; la Mecque et Médine ne me disent plus rien", c'est-à-dire il devait aller à Dieu en souffrant dans l'amour.

Al-Ghazâlî (1059-1111), le plus grand théologien du monde musulman en son temps, voyait dans le Sûfisme un remède pour une crise qui sévissait dans sa vie. Son endossement du Sûfisme donna à cela une place acceptée en Islam, sous certaines conditions: Les ûfîs peuvent prétendre uniquement (1) à un amour qui rapproche de Dieu, mais pas l'union avec lui ou son inhabitation dans l'homme (une idée qui réapparut dans le Sûfisme plus tard), (2) à un progrès spirituel fidèle aux observations ordinaires des Musulmans, et (3) à des merveilles divinement opérées, mais pas des miracles strictes qui sont opérés par Dieu comme preuve que la personne est prophète.

Une autre figure pendant cette période est `Abdalqâdir al-Jîlânî (m. 1166) de Bagdad, de qui dérive l'importante fraternité de Qâdiriyya.

L'espagnol Ibn-`Arabî (m. 1240) conduit le Sûfisme vers le panthéisme. Ainsi, pendant qu'al-Hallâj disait plus tôt. Je suis celui que j'aime et celui que j'aime est moi; nous sommes deux esprits fondus dans un même corps, Ibn-Fârid (m. 1235), effaçait la distinction entre Dieu et l'homme en soutenant:Et j'étais celui que j'aimais sans doute...Le fait que je le salue n'est ainsi que métaphorique; ma salutation est de moi en moi, en réalité.

A partir du seizième siècle le Sûfisme avait développé des techniques permettant à chacun de se mettre facilement en extase. Le Sûfisme passait en passe-temps populaire. On voyait les derviches tourneurs, des démonstrations des miracles telles que manger le feu, des ruses de l'épée et l'enchantement du serpent etc., avec une vénération exagérée des hommes saints vivants ou morts. La plupart des pratiques répréhensibles furent éliminées par les mouvements de réforme de la fin du dix neuvième siècle, mais les Musulmans fondamentalistes contemporains continuent de s'opposer complètement au Sûfisme.

Les fraternités Sûfiques ont émergé autour de la seconde moitié du huitième siècle lorsque les premiers grands ûfîs commencèrent à attirer des disciples. Ceux-ci se réunissaient sous l'égide d'un shaykh, mais les régulations étaient peu nombreuses et la direction directe des disciples par Dieu était la plus importante.

Vers 1100, comme le Sûfisme devenait à travers al-Ghazâlî mouvement accepté et vint sous le contrôle des juristes, la direction par une règle devenait la plus importante. L'enseignement et les méthodes Sûfiques de produire des états de conscience altérés furent développés et transmis par une chaîne d'autorités.

Vers le quinzième siècle le Sûfisme devint un mouvement populaire et les nouveaux ordres et leurs cellules se multipliaient à une vitesse étonnante. Ceux-ci insistaient sur le shaykh ou l'homme saint lui-même, et la direction sous son autorité absolue "comme un cadavre dans les mains de son nettoyeur" (devint la plus importante. L'autorité d'un shaykh est validée par une chaîne d'autorités retournant au fondateur de l'ordre, et finalement atteignant `Alî et puis Muhammad, qui est peint comme la première des créatures de Dieu, à travers qui coulent toutes les bénédictions.

L'initiation d'un disciple dans un ordre comprend un de divers éléments dont chacun est validé par une chaîne d'autorité: 1) habiller le disciple de l'habit de l'ordre, 2) donner des dates et de l'eau comme geste d'hospitalité au disciple, 3) serrer la main du disciple pour montrer le lien entre lui et son shaykh, 4) l'octroi d'un rosaire, 5) l'instruction dans les noms divins que le disciple doit réciter pour son dhikr privé, et 6) cracher dans la bouche du disciple.

Il y a souvent une hiérarchie unissant les groupes locaux d'un ordre, et quelque fois un chef international, mais leur contrôle est relâché, fonctionnant principalement par attraction à leur pouvoir et sainteté personnels. Un sûfî devient shaykh parfois en l'héritant de son père, parfois par élection ou par une désignation venant d'un autre shaykh qui donne une autorisation. Quelque fois l'autorité est revendiquée directement par l'intervention divine, comme quand le fondateur de la Tijâniyya prétendait avoir une vision de Muhammad faisant de lui le shaykh d'un nouvel ordre.

Le plus vieil ordre au Nigeria est le Qâdiriyya auquel appartenait `Uthmân dan Fodiye. C'est le plus fort à Sokoto. Le Qâdiriyya reformé, basé à Kano, et le Usmaniyya (après `Uthmân dan Fodiye, et promu par l'ancien Sardauna de Sokoto Ahmadu Bello), basé à Kaduna, ressemblent au Qâdiriyya traditionnel. On trouve le Tijâniyya traditionnel à Zaria et Katsina, mais le Tijâniyya reformé, fondé par Ibrâhîm Niass de Kaolack, au Sénégal, est répandu à travers l'Afrique de l'Ouest. Le Nord-est du Nigeria ne connaît presqu'aucune présence des ordres, sauf le Mahdiyya en Adamawa, un petit groupe rural associé au Mahdisme du Soudan. Au Nigeria le mouvement fondamentaliste Izala a conduit une campagne vigoureuse (mais sans grande réussite) pour supprimer le Sûfisme.

QUESTIONS:

  1. Expliquez l'attrait que les premiers Musulmans avaient pour le Sûfisme.
  2. Expliquez pourquoi certains Musulmans se sont opposés et continuent à s'opposer au Sûfisme.
  3. Décrivez l'évolution des fraternités Sûfiques.
  4. Citez et décrivez les fraternités présentes dans votre pays ou région.
Au chapître 22