CHAPITRE 15
LA SHARÎ'A

La Sharî`a n'est rien d'autre que les lois qui sont contenues dans le Qur'ân et le Hadîth et que l'on considère comme ayant été divinement révélées. Même ces textes ne s'étendent pas cependant à toute la contingence, et les différentes interprétations ont donné lieu à différentes écoles du droit. La science juridique, au sens de l'interprétation humaine de la Sharî`a est appelée fiqh. Elle applique la Sharî`a à tous les cas nouveaux à travers un raisonnement analogique (qiyâs, résolvant les nouvelles questions à la lumière des solutions anciennes ayant le même fondement) et le consensus (ijmâ`). Selon Ash-Shâfi`î, seul le moindre dénominateur commun sur lequel tout le monde se mettait d'accord était indubitablement obligatoire en tant que volonté de Dieu. Les autres conclusions de fiqh sont une affaire de conjecture. Un tel principe, penserons nous, ouvre la porte à toute sorte de diversité dans l'Islam sunnite, mais bientôt après l'époque d'Ash-Shâfi`î le principe de ijmâ` (consensus) fut invoqué pour tolérer uniquement les différences qui étaient en circulation dans les quatre écoles de l'époque d'Ash-Shâfi`î. Toute opinion nouvelle entrant en contradiction avec ces positions n'était pas autorisée. Dans ces restrictions, la portée de la raison humaine dans l'application de la Sharî`a par le raisonnement analogique (qiyâs) ou plus généralement par ijtihâd (l'effort de juger par soi-même) se dissipa, et à partir du début du dixième siècle les juristes ont reconnu que la "porte de ijtihâd" était fermée. Ijmâ` devint par là l'autorité compréhensive en Islam. Il garantissait l'authenticité du Qur'ân comme parole de Dieu et l'authenticité de la tradition ou Hadîth, et mit des restrictions à la variété d'opinions dans la loi islamique et dans la théologie. La loi islamique devint ainsi fixe et immuable.

La Sharî`a comprend tous les aspects de la vie. Les chapitres qui suivent reprendront les "cinq piliers". Nous nous tournons maintenant vers les normes qui gouvernent la société islamique. Ces normes ont été systématisées dans les travaux médiévaux d'al-Mâwardî et a-urûshî qui furent le fondement de la pensée politique de `Uthmân dan Fodiye, fondateur du califat de Sokoto; ces ouvrages continuent d'influencer la pensée musulmane du Nigeria.

L'Islam traditionnel sunnite insistait sur le pouvoir absolu et la liberté de Dieu. Il concluait que sa loi n'ordonne pas ou n'interdit pas quelque chose parce qu'elle est bonne ou mauvaise, mais que la chose est bonne ou mauvaise parce que la loi de Dieu la déclare telle. Comme il n'y a aucune autre loi légitime que la Sharî`a, il n'y a pas de distinction entre l'ordre temporel et l'ordre spirituel, et il est absurde de dire "Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César". C'est pour cette raison que les fondamentalistes combattent contre les codes séculiers de droit. Dans certains pays, comme le Nigeria, ils considèrent les Chrétiens comme étant leurs opposants; dans d'autres pays, comme l'Algérie et l'Egypte, ils n'ont pour opposants que les autres Musulmans.

Ces derniers disent que la Sharî`a doit être considérée comme un ensemble de principes généraux, et non comme une encyclopédie de réponses qu'il faille donner à chaque détail de la société. Ils disent en plus que certaines injonctions du Qur'ân étaient destinées uniquement aux circonstances spécifiques de l'Arabie du septième siècle, et non pas à toute époque et tout lieu, comme l'affirment les fondamentalistes. Même si les Musulmans prétendent avoir allégeance au chef de l'état pour coordonner le fonctionnement de la Sharî`a dans la société, cela ne les dispense pas de leur responsabilité personnelle quant au renforcement de la bonne conduite et à l'empêchement de la mauvaise (Q 3:104-114, 7:157, 9:67,71,112, 21:17). La société musulmane se police du dessous, alors que la contrainte de l'état n'est que supplémentaire.

L'obligation de contraindre à la bonne conduite et d'empêcher la mauvaise est le fondement de l'obligation du jihâd. Le jihâd signifie littéralement "effort". Les auteurs comme al-Ghazâlî parlent de: 1) le jihâd du coeur, comprenant la discipline de soi et la maîtrise sur toutes les mauvaises inclinations, et le désaveu dans son coeur de toute méconduite des autres et le désir de voir les autres corriger leurs manières; 2) le jihâd de la langue, comprenant les remontrances verbales des malfaiteurs et la prédication et l'écriture pour la promotion de l'Islam; et enfin 3) le jihâd de l'épée, qui est un effort militaire pour défendre et étendre le "règne de Dieu", c'est-à-dire l'Islam.

Ce dernier est la première signification normale du jihâd, même si les autres types sont considérés comme plus méritoires. Le monde se divise en 1) territoires islamiques, 2) territoires non-islamiques devant être conquis par le jihâd, et 3) territoires non-islamiques ne pouvant pas pour le moment être vaincus; un cessez-le-feu peut être conclu avec ces territoires pour une période maximum de 10 ans. Mener le jihâd reste une obligation particulière pour l'imam qui est chef de l'état, distingué de l'imam qui conduit la prière (cfr. Q 4:59).

Ce dirigeant est aussi connu sous le titre de "commandant des fidèles" (amîr al-mu'minîn) et "calife" (khalîfa), c'est-à-dire successeur de Muhammad comme leader et non prophète. De toutes les diverses qualifications et obligations de l'imam, la plus grande sur laquelle les écrivains modernes insistent, conscients de la démocratie occidentale, est de demander conseil (cfr. Q 3:159, 42:38). Un chef d'état n'est que l'exécutant de la Sharî`a (et ne peut pas édicter ses propres lois) à l'instar du juge (qâdî) qui applique simplement la Sharî`a à la cour. Si un chef d'état dévie de la Sharî`a, on a le droit de le renverser.

Le Qur'ân (49:10) insiste sur le fait que tous les Musulmans sont frères les uns à l'égard des autres. Ils forment une même communauté et doivent s'entraider. Le territoire de l'Islam est vraiment une nation. Et les dissensions politiques entre pays musulmans sont considérées comme artificielles. Un Musulman est avant tout membre de la nation musulmane et en deuxième position il devient égyptien ou nigérien. L'égalité des Musulmans transcende les barrières de classe ou de race.

D'après l'histoire, cependant, l'Islam a été associé à la culture arabe, et cette culture et sa langue sont respectées comme canal de la révélation de Dieu aux hommes. Par conséquent la plupart des territoires conquis par les Musulmans étaient arabisés en même temps qu'islamisés. Même les Musulmans non-arabisés tendent à imiter la culture arabe.

Les constitutions de certains états musulmans modernes accordent une égalité de droit aux citoyens tant Musulmans que non-Musulmans. Ceci n'est pas vrai quant à l'Islam traditionnel. A l'intérieur des territoires islamiques les païens n'ont le droit que de devenir musulmans ou de consentir à leur mort ou à l'esclavagisme. Les juifs et les Chrétiens sont autorisés à garder leur religion pourvu qu'ils acceptent la suprématie musulmane et certaines humiliations et conditions qui leur sont imposées, comme l'interdiction de prêcher aux Musulmans ou d'accepter des convertis. Les Musulmans ne peuvent abandonner leur religion pour devenir chrétiens par exemple, sous peine d'être tués. Les gouvernements musulmans modernes qui souscrivent à la Charte des Nations Unies pour la défense des droits de l'homme essayent d'assurer une certaine égalité entre Musulmans et non-Musulmans dans leurs pays, mais les vieilles mentalités intolérantes ne sont nullement parties.

QUESTIONS:

  1. Dans quel sens la Sharî`a peut-elle prétendre être une loi divine?
  2. Expliquez les différentes conceptions sur la place de la Sharî`a dans la société.
  3. Expliquez les objectifs de différents types de jihâd.
  4. Expliquez la position des non-Musulmans soumis à la Sharî`a.
Au chapître 16