CHAPITRE 12
INDEPENDANCE ET TENDANCES MODERNES

Le choc du règne ou de l'influence coloniale pendant le dix neuvième et le vingtième siècles produit des réactions différentes parmi les Musulmans, mais la première forte réaction fut le modernisme, un mouvement qui professait foi en Islam, et qui insistait que l'histoire musulmane avait pris une direction mauvaise en ne s'occupant pas des études séculières et du progrès social. Le modernisme a pris beaucoup de formes dont la plus extrême exigeait une révision totale de l'histoire de l'Islam primitif et de l'interprétation du Qur'ân et du Hadîth.

Le modernisme rencontra des difficultés dès que l'indépendance et les formes de gouvernement occidentales pendant les années 1960 ont failli de délivrer les pays musulmans de la pauvreté et l'enfoncement en arrière. Les défaites entre les mains des Israéliens en 1967 et 1973 furent pris comme une indication de l'hostilité ou manque d'intérêt de l'Occident envers les Musulmans. De plus en plus les Musulmans commençaient de soutenir que les problèmes de leurs pays venaient de ce qu'ils avaient abandonné les valeurs traditionnels en imitant les façons étrangères de vivre.

Depuis ce temps-là le fondamentalisme est devenu très fort, mais il a une histoire ancienne. Il y a les exemples de la sévérité de Mu-hammad à l'égard de ses critiques, le traitement d'Abû-Bakr de l'indépendance tribale comme apostasie, et surtout le principe Khârijite que les Musulmans qui ne remplirent les devoirs de l'Islam, particulièrement le jihâd, sont apostats et n'ont pas de droit en cette vie et pas de place au ciel.

Ahmad ibn-Hanbal (d. 855), suivant ash-Shâfi`î (d. 820), a fait écho des Khârijites avec sa révérence pour le Qur'ân, et son insistance d'une interprétation littérale sans aucune spéculation allégorique ou philosophique. Ainsi les Hanbalites rejetèrent tout système social de lois qui n'est pas celui des lois contenues dans le Qur'ân et le Hadith. Ibn-Hanbal vit en Bagdad pendant le règne du calife `Abbâside al-Ma'mûn (813-33) qui fonda la fameuse Bayt al-Hikma, une université et un centre de recherche où les oeuvres philosophiques grecques furent traduites en arabe et ces sciences furent développées par les meilleurs cerveaux de l'empire qu'ils soient Musulmans, Chrétiens ou Juifs. Dans cet environnement de libre pensée une théologie nouvelle prit naissance qui utilisait la philosophie pour présenter les articles de la foi dans une voie organisée et apologétique. Particulièrement, al-Ma'mûn força tous les théologiens de souscrire à l'enseignement que le Qur'ân est la parole créée de Dieu. Ibn-Hanbal refusa d'y souscrire, parce que cet enseignement semblait infirmer l'autorité du Qur'ân et, d'ailleurs, il fut basé sur le raisonnement philosophique, qu'il rejeta.

Ibn-Hanbal fut emprisonné jusqu'à la mort d'al-Ma'mûn, mais il avait grande influence sur les masses, qui le regardaient comme un martyr saint. A son indication, ils se manifestaient dans les rues de Bagdad contre le libéralisme intellectuel du régime. Finalement en 847 le calife al-Mutawakkil fut forcé pratiquement de fermer l'université Bayt al-Hikma et de renvoyer tous les philosophes et les autres penseurs libéraux. Le Hanbalisme fut postérieurement développé par Ibn-Taymiyya (m. 1328) qui a beaucoup d'influence aujourd'hui, particulièrement pour ses idées de la société islamique. Les idées d'Ibn-Taymiyya furent adoptées par `Abdalwahhâb dans l'Arabie du dix huitième siècle, et le Wahhabisme Hanbalite est l'idéologie du régime Saoudite actuel. Les pèlerins la saisissent et la distribuent partout dans le monde, plus spécialement en Afrique où leurs efforts sont subventionnés par des dons du gouvernement Saoudite pour la propagation de l'Islam.

Le Hanbalisme a aussi influencé le réformateur moderniste, al-Afghânî (m. 1897), qui fut suivi par Muhammad `Abduh (d. 1905) et Rashîd Ridâ (m. 1935). Ceux-ci ont influencé les cercles académiques plutôt que la société en général. Abandonnant le style de la théologie décadente Ash`arite qui dominait les écoles, ils essayaient de développer une apologétique moderne basée sur un concordisme entre le Qur'ân et la science moderne. Prenant l'offensive, ils affirmaient que l'Islam, et non le Christianisme, promouvait la libération des femmes et la tolérance religieuse. Le jihâd devait être uniquement défensif, et un gouvernement islamique doit être démocratique, utilisant la consultation (Q 3:159). La même ligne de pensée fut continuée par l'écrivain pakistanais Abû-l-`Alâ Maududi (+ 1979) qui développa la théorie islamique de la politique dans une direction radicale. Il est beaucoup lu au Nigeria.

En Egypte, surtout depuis 1935, Hasan al-Bannâ établit l'organisation fondamentaliste des Frères Musulmans, avec des branches pour tout le Moyen Orient. Assassiné en 1949, Bannâ était un ami de Nasser. Sa fraternité participa à la révolution de Nasser de 1952 mais après il rompit avec Nasser parce qu'il refusa de partager le pouvoir avec lui. De cette façon Nasser aliéna l'influent Sayyid Qutb. Ce dernier, emprisonné pour avoir refusé de coopérer avec Nasser, écrivit un commentaire sur le Qur'ân qui adoptait les idées de Rashîd Rida et de Maududi, mais alla beaucoup plus loin. Interprétant le Qur'ân littéralement, il rejeta le modernisme de Muhammad `Abduh et de Riâ, qu'il accusa d'avoir emprunté les idées des Chrétiens et des Juifs. Pour Qutb, les Musulmans ne doivent pas prouver le Qur'ân par la science moderne ni l'adapter à la pensée moderne. Mais la science et l'histoire doivent s'adapter à la vérité suprême du Qur'ân. D'ailleurs, la raison n'a rien à dire sur la morale et la vie sociale. Ainsi, pour Qutb, l'on doit s'en tenir à toutes les provisions qur'âniques concernant la non-exposition des femmes, la polygamie, le divorce et l'inégalité de l'héritage et du témoignage devant un tribunal. Les Chrétiens et les Juifs n'ont plus les droits qu'on leur a accordé dans les versets antérieurs du Qur'ân, parce qu'ils sont des infidèles (kâfirûn), étant rentrés au polythéisme et ayant rompu leur pacte avec Dieu. Pour cette raison on doit les attaquer, selon les règles du Qur'ân 9:1-35; et c'est exactement ce que font les disciples de Qutb aujourd'hui. Qutb ne limita pas le jihâd à la guerre défensive, mais en fit une obligation de chaque individu, qui devrait lutter constamment pour l'établissement de la loi de Sharî`a, d'abord dans les sociétés traditionnellement musulmanes, ensuite dans le monde entier.

Le refus de Qutb d'accepter n'importe quelle modification de la condamnation qur'ânique de l'usure a donné naissance à un mouvement qui essaie d'établir un système de banc islamique, sans intérêt fixe. Qutb attendait la renaissance d'un état islamique avec un imâm ou calife vraiment voué à la Sharî`a. Quoiqu'il fut exécuté en prison en 1966, l'influence de Qutb n'a pas cessé d'accroître. En Egypte sa pensée fut prise par le mouvement encore plus radical, al-Jihâd. Son fondateur, Muhammad `Abdassalâm al-Farâ, insista sur l'obligation de chaque individu de lutter pour l'établissement d'un état islamique. Ses disciples assassinèrent le Président Sadat pour n'avoir pas pleinement mis en oeuvre la Sharî`a.

Le Hanbalisme radical continue de se répandre parmi les Musulmans sunnite à travers le monde. Le Nigéria a vu le mouvement Maitatsine, qui est une sorte de Khârijisme avec influence mahdiste, mais il est proche du Hanbalisme. Le Hanbalisme, marqué par le Wahhabisme Saoudite et Sayyid Qutb, fut représenté aussi par Gumi, patron de la Jamâ`at izâlat al-bid`a wa-iqâmat as-sunna (Société pour l'enlèvement de l'hérésie et l'établissement de Sunna), connu populairement comme Izala. Cette organisation combat non seulement les Chrétiens en exigeant un état islamique, mais aussi les fraternités Sûfiques et n'importe quel Musulman qui promeut la modernisation ou une renaissance de la culture africaine. Ainsi nous sommes témoins non seulement des églises brûlées, mais aussi des combats dans les mosquées.

En dehors du Hanbalisme, le Shî`isme est aussi parfois associé à l'action violente, mais la plupart du temps il est pacifique. Le principe de l'altération du sentiment shî`ite est que les Shî`ites doivent suivre l'appel de l'imam (ou son représentant) quand il proclame un jihâd. S'il n'y a pas de représentant de l'imam (qui, l'on croit, se cache depuis des siècles) qui fait appel à un jihâd, les Shî`ites sont dispensés de l'obligation du jihâd et peuvent pacifiquement accepter n'importe quel régime qui tient le pouvoir, même s'il n'est pas légitime.

La martyrisation de `Alî et de Husayn continue d'inspirer les Shî`ites jusqu' aujourd'hui. Ils sont prêts à se sacrifier volontiers pour la cause de l'Islam et même mourir pour lui quand l'imam les appelle. Tel a été le cas quand l'Ayatollah Khomeini de l'Iran appela son peuple à combattre l'Iraq et à assassiner Rushdie.

QUESTIONS:

  1. Expliquez le dilemme des Musulmans en face du pouvoir des pays non- musulmans du monde.
  2. Expliquez les principes et l'influence d'Ibn-Hanbal sur les Musulmans d'aujourd'hui.
  3. Résumez la pensée de Sayyid Qutb.
  4. Expliquez les principes du Shî`ism concernant la violence pour la cause de l'Islam.
Au chapître 13