CHAPITRE 7:
LA JIHÂD

A Médine Muhammad était le chef des Emigrés (muhâjirûn) venus de la Mecque et le seul arbitre des Mecquois. Ceux-ci l'acceptaient comme prophète au sens qu'il avait des expériences religieuses comme toute autre personne, et pouvait prêcher sur la religion et la morale. Il lui a fallu du temps pour renforcer son autorité politique et prophétique.

Presque immédiatement plus tard Muhammad signa un traité (la "Constitution de Médine") établissant la paix entre les factions médinoises et esquissant les droits et les devoirs de tous, y compris des Juifs. Il arrangea le soutien des Emigrés en les appariant chacun avec un hôte de Médine. Au même moment il organisait le temps de la prière, ajoutant la prière de la journée (Q 2:238).

Une crise surgit parce qu'en effet les Juifs et beaucoup d'arabes à Médine n'avaient pas accepté Muhammad sans réserve. Quand l'Islam devint une religion officielle les gens y concédèrent; ils furent obligés de prétendre qu'ils étaient Musulmans afin d'éviter d'être tués, pourtant en privé ils soutenaient une position tout à fait différente". On les appela des hypocrites (munâfiqûn; cfr. Q 63 etc.).

Quoique le traité dise que les "Juifs constituent une seule communauté avec les croyants", alors qu'ils avaient leur religion et les Musulmans la leur, les événements indiquent plus tard que Muhammad s'attendait à ce que les Juifs mélangent leur religion avec la reconnaissance qu'il était prophète. Dans tous les cas, Muhammad s'était rendu compte que tout défi à sa prétention de prophète compromettrait son autorité sur toute la Médine.

D'abord Muhammad espérait l'emporter sur les Juifs. On avait choisi Vendredi comme jour de prière commune, coïncidant avec le rassemblement du peuple au marché en vue de préparer le Sabbat. La qibla ou direction de la prière était vers Jérusalem. Les Musulmans recevaient l'autorisation de manger la nourriture préparée par les Juifs et les tabous sur l'alimentation juive, comme l'interdiction du porc, furent aussi appliqués aux Musulmans. Ces similitudes reflètent la conception selon laquelle les deux religions sont parallèles. Ainsi Muhammad prétendit non simplement au titre de rasûl (= messager) mais aussi à celui de nabi, le mot hébreu pour dire prophète.

Comme très peu de Juifs l'acceptaient comme prophète, Mu-hammad transforma son affaire, arguant que le Judaïsme et le Christianisme étaient les premières étapes imparfaites de la religion révélée, alors que l'Islam en était une étape parfaite et finale. Il insistait que sa venue avait été prédite dans la Torah, qui l'avait décrit et l'avait mentionné par le nom. Il accusait les Juifs d'une mauvaise foi délibérée en rejetant ou en annulant ce que leur propre Ecriture disait de lui. Il avait même affirmé qu'en ne le reconnaissant pas les Juifs rompaient leur alliance avec Dieu (cfr. Q 2:40). Les Juifs répondirent que "aucune alliance n'avait été conclue entre eux et Mu-hammad", mais celui-ci insista que cette alliance existait bel et bien (cfr. Q 2:100). Il s'attaqua aux prétentions des Juifs et Chrétiens à l'unicité en ayant Moïse ou Jésus, se rattachant à Abraham, qui vivait avant Moïse et Jésus et n'était ni juif ni chrétien, mais hanîf (Q 3:67; voir Romains 4).

Etant donné que Muhammad, par ses meilleurs arguments, ne réussit pas à convaincre les Juifs, il les menaça qu'ils devraient faire face au feu de l'enfer. En attendant, quoique leurs vies et propriété devraient être respectées aussi longtemps qu'ils n'étaient pas activement hostiles, les musulmans furent prévenus de ne pas prendre les Juifs comme des amis ou des alliés (cfr. Q 3:118-19; 5:62; 2:1-100). Muhammad craignait l'influence des Juifs sur les musulmans de Médine qu'il façonnait dans une seule partie avec une même idéologie. Ceci explique sa colère extrême contre une conversation à voix basse entre les Juifs et les hypocrites dans la mosquée avec d'autres hypocrites, et Muhammad les a fait traîner dehors. Enfin, la tentative de courtiser les Juifs fut marquée par le changement de qibla de Jérusalem à la Mecque, au début du dix-septième mois du séjour de Muhammad à Médine (Q 2:144).

En Avril 623 Muhammad entreprit une vie de mariage normale avec `Â'isha qu'il avait épousée quelques années avant. Il y avait un grand contraste entre un homme de 53 ans et une fille de 9 ans qui continuait à jouer à la poupée. Mais ce mariage n'était pas choquant dans la société arabe de son temps. `Â'isha n'eut jamais d'enfants, mais elle est devenue une femme importante dans la vie politique musulmane pendant plusieurs années après la mort de Muhammad.

Vers Août 623 la fille de Muhammad, Fâtima fut donnée en mariage à son cousin `Alî. Fâtima eut deux enfants, al-Hasan et al-Husayn, et c'était à travers eux que Muhammad eût une lignée durable de descendants.

Les émigrés en Médine étaient des hôtes et, en plus des travaux manuels et des petits métiers, ils n'avaient aucun soutien. Si l'on n'avait pas entrepris des démarches pour pourvoir à leurs besoins, ils seraient vite considérés comme des parasites malvenus. La coutume arabe consistant à attaquer des caravanes non protégées était une réponse. En plus d'offre du butin, pareilles attaques contraignaient les émigrés et les Médinois à coopérer, et cela aidait à consolider la puissance de Muhammad.

La religion transforma les agressions en jihâd. Cela signifie "lutter" au nom de Dieu, au moyen des armes, bien que les Musulmans dans la suite parlent aussi d'un jihâd spirituel du coeur ou de la langue pour être plus disponible devant Dieu. Le Qur'ân justifie ces agressions musulmanes comme étant une vengeance sur les Mecquois pour avoir chassé les musulmans de chez eux. Si les musulmans avaient pris l'offensive c'est simplement pour récupérer ce qui de droit leur appartenait. En outre, le Qur'ân envisage le rétablissement d'une société où l'Islam est suprême: "Combattez-les [les païens] jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de scandale et que toute religion appartienne à Dieu" (8:39). "Combattez ce peuple scriptural qui ne croit pas en Dieu et au dernier jour et n'interdit pas ce que Dieu et son Messager interdisent et ne pratique pas la vraie religion, jusqu'à ce que ce peuple puisse payer de ses propres mains l'impôt de jizya dans un état d'humiliation" (9:29). Il était naturel pour les musulmans de comprendre ces passages comme un mandat pour étendre le règne islamique jusqu'au-delà de l'Arabie (cfr. aussi 2:190, 4:74-77,84,89 ff., 5:35, 8:38-9, 9:13,29, 22:39-40, 47:4, 61:10 ff.).

Après quelques tentatives avortées, Muhammad envoya un petit groupe de gens sous `Abdallâh ibn-Jash. Il lui écrivit une lettre et lui dit de ne pas y jeter un regard jusqu'à ce qu'il eût accompli deux jours de voyage. Alors il devait la regarder et faire ce qui lui était demandé de faire; mais il ne devait pas faire pression sur ses compagnons. Dans la lettre il lui était dit d'aller à Nakhla et de se tenir à l'affût des mecquois pour voir ce qu'ils faisaient. Les agresseurs dirent: "Si vous les laissez seuls ce soir ils vont entrer dans le territoire sacré et ne se sentiront pas en danger de vous; et si vous les tuez, vous ne pouvez le faire que pendant le mois sacré". Après quelques hésitations ils attaquèrent et tuèrent un homme et capturèrent deux autres, pendant qu'un autre encore s'en est évadé. La violation du mois sacré embarrassa Muhammad qui dit: "Je ne vous ai pas ordonné de combattre pendant le mois sacré". Les Musulmans furent alors découragés et apeurés. Et les Juifs commencèrent à les injurier en public, jusqu'à ce que la question fut résolue par un verset du Qur'ân qui justifia l'action (2:217). Ainsi donc le butin fut gardé et les prisonniers tenus en otages jusqu'à ce qu'ils eussent été rachetés.

Après, Muhammad, avec environ 300 hommes, attaqua une caravane de la Mecque. Les Mecquois connaissaient d'avance le projet d'attaque et avaient placé 700 hommes pour contenir l'agression. La bataille eut lieu Vendredi matin, le 17e Ramadân. Muhammad incita ses hommes disant: "Si quelqu'un d'entre vous combat courageusement aujourd'hui, en avançant et non en reculant, et s'il est tué, Dieu l'emmènera au paradis" (cfr. Q 47:4-6). `Umayr ibn-al-umâm dit, "Très bien! Etre tué par les gens est-ce tout qui est requis pour entrer au paradis?" Alors il prit son épée et combattit jusqu'à ce qu'il fût tué.

Puis le Messager de Dieu prit quelques cailloux et, regardant les Mecquois, il dit: "Que vos visages soient déformés!" Et il leur jeta des cailloux. Il ordonna alors à ses compagnons d'attaquer. L'ennemi fut vaincu. Dieu tua plusieurs de leurs chefs et beaucoup de leurs nobles furent pris en captivité.

Les Mecquois avaient perdu tout à fait 45 à 70 hommes à Badr, et 68 ou 69 autres furent faits prisonniers contre une perte de 14 hommes du côté musulman. Le succès des musulmans ne voulait pas dire qu'ils étaient victorieux dans la guerre mais il plaça la puissance sur toute l'Arabie à la portée de leurs armes. La victoire fut prise comme signe de la bénédiction de Dieu sur l'Islam. Elle était attribuée au concours des anges: "Les anges n'ont pas combattu au cours d'une seule bataille, sauf à Badr. Dans d'autres batailles ils n'étaient que des renforts mais n'ont pas pris part au combat" (cfr Q 8,9).

Les Musulmans se disputèrent au sujet du partage de leur butin (Q 8:41), jusqu'à ce que Muhammad le prit pour en faire un partage équitable, gardant la cinquième part pour lui-même. Pendant ce temps à Médine la fille de Muhammad, Ruqayya, mourut, celle qui était mariée à `Uthmân ibn-`Affân.

Beaucoup de prisonniers furent détenus pour rachat, mais deux poètes tentant de discréditer la prétention de Muhammad à la prophétie furent exécutés. Avant d'être tués, l'un d'eux dit: "Muh-ammad, qui prendra soin de mes enfants?" Il répondit: "le feu". L'opposition intellectuelle ou littéraire comme celle des poètes, Muhammad ne pouvait ni la pardonner ni la tolérer.

Parmi les priso