CHRETIENS EN DIALOGUE AVEC MUSULMANS


Quel est le vrai sens du dialogue interreligieux comme exigence pastorale de l'Eglise d'aujourd'hui? Quelles sont les défis particuliers du dialogue islamo-chrétien? Et quelles sont les spécificités de ce dialogue en Afrique?

I. Les préalables au dialogue

Le dialogue présuppose trois choses: 1) d'abord la tolérance ou, mieux, la liberté religieuse, 2) la reconnaissance que les partenaires d'une autre religion puissent être dans la voie de salut, 3) la reconnaissance des valeurs dont ces religions sont les véhicules.

La liberté religieuse

L'histoire de la liberté religieuse dans l'Eglise montre une évolution. Les pères de l'Eglise réclamaient la liberté pour l'Eglise, mais ils n'étaient pas si prêtes à l'accorder aux non-chrétiens égarés. (1) Les détails de la politique de l'Eglise sur la tolérance des non-chrétiens sont codifiés dans les Decretales de Gratian, et sont empruntés par S. Thomas d'Aquin dans sa Summa theologiae, II-II, q.10-12 dans le contexte de sa discussion sur la foi. Jusqu'aux temps modernes, l'Eglise n'a pas envisagé un état laïc. L'état était pour ou contre Dieu et l'Eglise. La tolérance, selon S. Thomas, n'imposait pas la foi, mais l'ayant une fois acceptée, un catholique n'avait pas la liberté de quitter l'Eglise, et les non-chrétiens ou hérétiques n'avaient pas le droit de faire la propagande parmi les catholiques.

La étape suivante de la pensée de l'Eglise fut franchie au 19ième siècle, quand les régimes anti-cléricaux s'assouplissaient et l'Eglise se trouvait sous des régimes laïcs qui assuraient un modicum de liberté. L'accommodation pratique se justifiait alors sous la théorie de la thèse et la hypothèse, selon laquelle un état qui reconnaît le catholicisme comme religion officielle est l'idéal, mais il est permis de faire un compromis pour l'entre-temps. Cette théorie était fort embarrassante dans des pays comme les Etats-Unis, ou on accusait les catholiques d'attendre l'occasion de saisir le pouvoir et supprimer les autres religions. La pensée des théologiens comme John Courtney Murray préparait la décisive prise de position du Vatican II et enleva un obstacle au chemin du dialogue. Nostra Aetate présent des raisons philosophiques et bibliques pour défendre la liberté religieuse.

La possibilité du salut pour les non-chrétiens

Pareillement, la question de reconnaissance des valeurs et des vérités dans les autres religions a connu une évolution. Pour la théologie biblique on distingue une perspective restreinte aux juifs et dans le N.T. au chrétiens, et une autre perspective "sapientielle", qui inclut tous les hommes. Celle-ci est basée sur l'alliance avec Noé et se manifeste dans les saints païens de l'A.T. Aussi dans le N.T. on propose de reconnaître une double théologie: l'une, celle des Actes et de Paul, serait la théologie de l'annonce, l'autre, celle de Jean et des épîtres de Pierre, serait une théologie de témoignage. (2) Une théologie de témoignage se concentre sur le Christ cosmique, plutôt qu'historique. Il y a, quand-même, des allusions à l'oeuvre cosmique du Christ un peu partout dans le N.T. Une étude serait à faire sur les vues des pères de l'Eglise sur le salut des non-chrétiens.

La possibilité de salut pour les gens éloignés de l'Eglise est traitée par S. Thomas dans la Summa Theologiae, II-II, q.2, a.7, ou il se demande s'il est nécessaire de croire dans le mystère de l'Incarnation. Il répond que oui, mais il précise que ceux qui n'ont pas reçu la révélation de l'Incarnation peuvent être sauvés par une foi implicite dans ce dogme, quand ils croient dans la providence de Dieu qui libère les humains selon les modalités qui lui plaisent (ad 3). De telles personnes appartiennent vraiment au N.T. (I-II, 106:1, ad 3, 107:1, ad 2).

S. Thomas explique plus explicitement comment cela peut se faire, quand il dit d'un non-baptisé que "une fois qu'il a commencé à avoir l'usage de la raison... la première chose qui doit se présenter à sa réflexion, c'est de délibérer sur lui-même. Et si réellement il s'est orienté vers la bonne fin, la grâce lui assurera la rémission du péché original". Autrement il péchera mortellement (I-II, 89:6). La connaissance de "la bonne fin" suppose la foi implicite en Christ.

Vatican II précise le statut des non-chrétiens dans Lumen Gentium, n. 16 et Gaudium et spes, n.22: L'Esprit Saint offre à tous la possibilité d'être associé au mystère pascal du Christ.

L'équilibre entre l'unicité de la voie chrétienne et de l'oeuvre de l'Esprit hors de l'Eglise s'est maintenu dans les écrits papaux d'après Concile. C'est le Redemptor hominis de Jean Paul II qui marque un développement ultérieur de ces idées. Dans n.8 et 9 il récapitule Gaudium et spes, n.22, puis il dit que chacun est compris dans le mystère de la redemption par le Christ dès sa conception, et est uni au Christ en quelque façon, même si il n'en est conscient (n.13-14).

Parlant aux Cardinaux et à la Curie après la réunion inter-religieuse d'Assise, Jean-Paul II repéta les points de Gaudium et spes, 22. Puis il applique ces principes à la situation du pluralisme religieux:

Les hommes peuvent souvent ne pas être conscients de leur unité radicale d'origine, de destin et d'insertion dans le plan même de Dieu et, lorsqu'ils professent des religions différentes et incompatibles entre elles, ils peuvent même ressentir leurs divisions comme insurmontables. Mais, malgré cela, ils sont inclus dans le grand et unique dessein de Dieu, en Jésus Christ, qui "s'est uni d'une certaine manière à tous les hommes" (G. & spes, 22), même si ceux-ci n'en sont pas conscients. (3)

Encore, dans Redemptoris missio, Jean-Paul II dit:

L'universalité du salut ne signifie pas qu'il n'est accordé qu'a ceux qui croient au Christ explicitement et qui sont entrés dans l'Eglise. Si le salut est destiné à tous, il doit être offert concrètement à tous... Pour eux, le salut du Christ est accessible en vertu d'une grâce qui, tout en ayant une relation mystérieuse avec l'Eglise, ne les y introduit pas formellement mais les éclaire d'une manière adaptée à leur état d'esprit et à leur cadre de vie (n. 10).

C'est une perspective qui envisage l'influence du Christ sur tous, dès le commencement du monde jusqu'à sa fin, "lorsqu'il remettra la royauté à Dieu le Père... afin que Dieu soit tout à tous (1 Cor 15:24,28). (4)

Reconnaissance de valeurs dans les autres religions

Le mouvement sapiential de l'A.T. empruntait librement les maximes et sagesse des nations voisines, tout en les intégrant dans un Yahwisme triomphaliste. Le processus d'emprunt et d'adoption se voit aussi clairement dans le Pentateuque, avec son arrière-fond Mésopotamien. Dans le N.T. on peut noter la reconnaissance de la valeur séculière de l'empire romaine (Mt 22:20; Rm 13:1-7; 1 Tim 2:1-2; Tit 3:1; 1 Pet 2:13-15), et surtout le respect de Paul pour le croyance des Athéniens en un Dieu inconnu (Actes 17:16-34).

Les premiers pères de l'Eglise s'opposaient foncièrement aux religions des grecs et des romains. Et s'ils y trouvaient des vérités indéniables, ils expliquaient qu'elles furent empruntées de la révélation faite aux juifs. Quand même leur reconnaissance des "pierres d'attente" ou "semences du Verbe" a préparé une vue plus large.

Une vue notablement plus large ne se trouvera que dans Vatican II, en Ad gentes (n.3 & 11), Lumen Gentium (n.16) et surtout en Nostra aetate (n.11). Puis, après l'assemblée d'Assise en 1986, le Pape remarqua que "toute prière authentique est suscitée par l'Esprit-Saint qui est mystérieusement présent dans le coeur de tout homme." (5) C'est une reconnaissance de la valeur d'un des "piliers" des religions non-chrétiennes.

Dans Redemptoris missio le Pape remarque que "la présence et l'activité de l'Esprit ne concernent pas seulement les individus, mais la société et histoire, les peuples, les cultures, les religions. En effet, l'Esprit se trouve à l'origine des idéaux nobles et des initiatives bonnes de l'humanité en marche... C'est encore l'Esprit qui répand les 'semences du Verbe', présentes dans les rites et les cultures, et les prépare à leur maturation dans le Christ" (n. 28).


II. Le dialogue

Jésus a montré les principes du dialogue quand il discutait avec la Samaritaine (Jn 4), et parlait aux foules dans des paraboles, s'adaptant à la mentalité de chaque auditeur.

C'est la même façon d'agir qu'ont adapté les apologètes de la jeune Eglise. Pour sauter au moyen âge, on peut aussi admirer la méthode scolastique d'écouter toutes les objections avant de défendre une thèse; voir par exemple les Questiones disputatae de S. Thomas. Lui même, dans sa Summa Theologiae I-II, 10:7, est favorable à la disputation publique avec les non-croyants.

Ce n'est pas encore ce que nous entendons par le dialogue, mais c'est déjà un pas vers l'ouverture, en contraste avec Pie XI qui n'admit aucune participation dans des assemblées oecuméniques, parce que ça impliquerait un compromis de la foi. Les protestants, selon lui, doivent simplement rentrer à la vraie Eglise qu'ils ont abandoné. (6)

La situation change avec Vatican II. Mais bien avant la publication des grands documents conciliaires touchantes le dialogue, Paul VI créa le Secrétariat pour les non-Chrétiens (mai 1964) et écrit son encyclique Ecclesiam suam (6-8-1964), qui est considérée la charte du dialogue. (7) Le Pape fait une longue et belle description du dialogue qui n'est pas surpassée jusqu'à nos jours, dont les principaux points sont les suivants: C'est aux chrétiens et catholiques d'initier le dialogue. On le fait avec tous les hommes, sans exception, qui acceptent de s'y engager. On les invite, sans coercition. On attend patiemment les occasions de le faire, sans procrastination. On cherche à encourager ce qui est positif au lieu de simplement condamner les erreurs. Le but n'est pas immédiatement la conversion mais d'établir une communion d'idées et la paix. Le dialogue exige la clarté d'expression, la confiance et la prudence, et il évite tout compromis de la vérité. Le dialogue doit se faire avec les non-chrétiens, les frères chrétiens séparés et au dedans de l'Eglise catholique.

Cette encyclique remarquable a trouvé écho dans les documents conciliaires sortis pendant les deux ans qui l'ont suivi. Nostra aetate (n.2), Apostolicam actuositatem (n.14), Ad gentes (n.11), Gaudium et spes (n.11 & 92).

Tous ces documents donnèrent l'impulsion au Secrétariat pour les non-Chrétiens (dès 1989 le "Conseil Pontifical pour les Relations Inter-Religieuses") de publier des livres sur le dialogue et d'organiser ou participer en des colloques dialogales, de faire toute sorte de contacts avec représentants des autres religions, et de promouvoir le dialogue à l'échelon local, ce qui a eu des résultats encourageants, mais aussi des échecs. (8)

Paul VI parla encore dans son Evangelii Nuntiandi (8 Dec. 1975) sur le respect qu'on doit avoir pour les religions non-chrétiennes, mais il ajouta qu'il faut néanmoins annoncer l'Evangile à tous.

L'encyclique inaugurale de Jean-Paul II, Redemptor hominis (4-3-1979), réaffirme la nécessité du dialogue (colloquium), d'abord avec les chrétiens séparés, et puis avec les non-chrétiens.


III. Mission et dialogue

Tous les documents que nous avons vu affirment sans hésitation que l'oeuvre d'évangélisation doit se continuer et même être intensifiée. Quel est la place du dialogue, alors, qui semble renoncer à chercher la conversion et à se constituer une oeuvre distincte à côté de la mission? C'est une question pratique qui inquiétait bien de gens engagés dans l'apostolat de l'Eglise.

Le Secrétariat pour les non-Chrétiens tint une réunion pour traiter le sujet. (9) Enfin le Secrétariat publia le 3-3-1984 un document Attitude de l'Eglise catholique devant les croyants des autres religions, mieux connu par son sous-titre Mission et dialogue. (10) Ce directoire distingue cinq sortes de mission: 1) la simple présence et le témoignage de la vie chrétienne, 2) la promotion sociale, 3) la vie liturgique, la prière et la contemplation, 4) le dialogue avec les croyants d'autres religions, 5) la proclamation de l'Evangile (n.13).

Egalement le dialogue prend plusieurs expressions. D'abord il y a un esprit général de dialogue:

Le dialogue est avant tout un style d'action, une attitude et un esprit qui inspirent le comportement. Il comporte l'attention, respect et accueil de l'autre, à qui on laisse l'espace nécessaire à son identité, a son expression propre et à ses valeurs. Un tel dialogue est la norme et le style indispensables de toute mission chrétienne et de chacune de ses formes, qu'il s'agisse de la simple présence et du témoignage, ou du service ou d'annonce direct (Corpus Juris Canonici 787,1). Une mission qui ne serait pas imprégnée de l'esprit du dialogue serait contraire aux exigences de la nature humaine et aux enseignements de l'Evangile (n.29).

Dans ce sens général le dialogue coïncide avec la mission et c'est un aspect de toutes ses formes. Mais il y a aussi des formes concrètes diverses du dialogue: 1) le dialogue de vie, qui s'accord avec la mission de présence et de témoignage (n.30), 2) le dialogue des oeuvres, qui s'accord avec la mission d'engagement social (n.31-32), 3) le dialogue des spécialistes (n.33), et 4) le dialogue de l'expérience religieuse, en la partageant.

Chaque activité de mission et de dialogue a sa propre place et sa propre valeur en constituant le royaume de Dieu. Le but ultime est que tout le monde s'imprègne de la connaissance et de l'amour de Dieu, ce qui commence ici par "la foi, don de Dieu accueilli par la bonne volonté de l'homme, et l'unité dans la charité du Christ, qui nous appelle tous à participer en fils à la vie du Dieu Vivant, Père de tous les hommes". (11)


IV. Le dialogue islamo-chrétien

Le Secrétariat pour les non-Chrétiens et la Sous-Commission pour le Dialogue avec les adeptes des Croyances et Idéologies de Notre Temps du Conseil Oecuménique n'ont pas cessé d'organiser des colloques avec musulmans, et parfois les musulmans ont initié des colloques. (12) Jean-Paul II encouragea ce dialogue à Ankara le 30 novembre 1979 en disant:

C'est au vaste monde islamique que j'exprime, à nouveau, aujourd'hui l'estime de l'Eglise catholique pour les valeurs religieuses (de l'Islam). Quand je pense à ce patrimoine spirituel, à la valeur qu'il a pour l'homme et pour la société, à sa capacité d'offrir, surtout aux jeunes, une orientation de vie, de combler le vide laissé par le nationalisme, de donner un fondement sûr à l'organisation sociale et juridique, je me demande s'il n'est pas urgent, précisément aujourd'hui où chrétiens et musulmans sont rentrés dans une nouvelle période de l'histoire, de reconnaître et de développer les liens spirituels qui nous unissent, afin de protéger et de promouvoir, ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. (13)

Le dialogue islamo-chrétien, avec une telle poussée de l'Eglise, est tout à fait nouveaux. Il n'est pas surprenant qu'il y avait des tâtonnements et déceptions après le succès et l'euphorie des premières rencontres. Dans le première étape, on a vu pas mal de rencontres au niveau international. Chaque rencontre semblait plus audacieuse et plus auspicieuse, jusqu'à celle organisé par le Secrétariat pour les non-Chrétiens et l'Union Socialiste Arabe de Libye en février 1976, où on expérimenta la déception.

Les églises locales du Moyen Orient et du Nigéria, où les relations avec les musulmans ne sont pas faciles, ont contesté et ont résisté aux efforts du Secrétariat pour les non-Chrétiens d'organiser des rencontres avec les musulmans sur leur terrain.

Les musulmans aussi se manifestaient méfiants au dialogue. Partout le fondamentalisme islamique gagnait du terrain et propageait l'impression que le dialogue était une nouvelle stratégie missionnaire pour déstabiliser l'Islam, "le nouveau piège des anciens trappeurs".

Devant de telles difficultés, le Secrétariat pour les non-Chrétiens opta de promouvoir avec préférence des rencontres avec les musulmans au niveau local, sans publicité. En fait de tels rencontres étaient plus fructueux. D'ailleurs le point de ces rencontres se transférait d'un essai de trouver une unité de croyance à la reconnaissance de la légitimité légale de la divergence religieuse, et à la conscience de l'arrière-fond économique et social qui souvent est la racine des antagonismes, et dont la différence religieuse n'est qu'un masque.

Les rapports entre chrétiens et musulmans diffèrent fortement selon les situations diverses. Là où les musulmanes sont la forte majorité, comme dans les pays arabes, les chrétiens autochtones se sentent écrasés et dépourvus de droit de cité à l'égalité des musulmans, quoiqu'ils jouissent d'une certaine tolérance. Les minorités musulmanes, qu'ils soient étrangers comme en Europe ou autochtones comme au Ghana, ont très peu de quoi se plaindre.

Là où les chrétiens et les musulmans sont à peu près égaux, comme au Liban ou au Nigéria, il y a la plus grande difficulté. Le dialogue en de telles situations est minime, si on entend le dialogue formel des spécialistes.

Pourtant l'Eglise continue à pousser le dialogue, tout comme appliquant au dialogue les mots de Paul: "Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Evangile" (1 Cor 9:16). (14)


V. Un défi spécial aux africains

L'Islam n'est jamais une appartenance purement sociale, mais il répond, à une certaine mesure, à un besoin religieux. L'Islam donne une conceptualisation de l'ordre de l'univers, leur accordant une position de justice devant Dieu. Leur foi et certaines pratiques assurent que, malgré leurs péchés et défaillances, ils sont membres de "la meilleur communauté de ce monde" (Qur'ân 3:110) et ont droit aux bénéfices préférentiels de Dieu en ce monde et dans le monde à venir. D'où la fierté et le sens de supériorité des musulmans, et leur imperméabilité par un autre message.

Le musulman africain voit aussi dans la pratique de sa religion un moyen surnaturel de contrôler son ambiance, de se protéger et de s'assurer la prospérité.

L'Islam d'ailleurs parle à l'africain en un langage plus efficace pour une culture orale. Le Qur'ân est une collection d'exhortations délivrées originellement par voie orale, pleines de contes et illustrations.

D'autre part, la cohésion sociale des musulmans correspond à un besoin fort des africains, surtout pour ceux qui s'éloignent de leur village d'origine pour le commerce ou le travail. C'est ainsi que l'Islam se constitue une partie, "la partie de Dieu" dans le vocabulaire du Qur'ân. Dans ce sens, l'Islam attire les gens non seulement par leur besoin de fraternité, mais aussi par opportunisme.

Dans un tel contexte, le dialogue prendra des formes diverses:

Le langage de résistance

Parlant au Corps diplomatique le 13-1-1990, Jean-Paul II plaigne de "la situation préoccupant dans laquelle se trouvent les chrétiens dans certains pays où la religion islamique est majoritaire. L'expression de leur détresse spirituelle me parvient constamment: souvent privés de lieux de culte, objet de suspicion, empêchés d'organiser une éducation religieuse selon leur foi ou des activités caritatives, ils ont la douloureuse sensation d'être des citoyens de second ordre."

Dans de telles situations en Afrique il y a forcément quelque contestation entre musulmans et chrétiens. On observe que les tensions entre chrétiens se suspendent et l'oecuménisme s'intensifie devant la menace commune. Telle est une réaction naturelle, mais quelle est l'exigence de la foi chrétienne? L'autodéfense par les moyens non-violents est un des droits et devoirs que tous les mouvements de justice et de paix dans notre temps soutiennent. (15) Ainsi dans les situations où les musulmans ou les chrétiens refusent la justice l'un à l'autre, la contestation est une forme nécessaire de dialogue, une forme qui aboutit parfois en des mesures sévères pour défendre ses propres droits. C'est la forme infime du dialogue, mais qui parfois s'impose.

Le langage de coopération

Il y a tant d'intérêts communs entre musulmans et chrétiens, dans le domaine économique et de développement et dans la promotion sociale et morale, aussi bien au niveau des dirigeants gouvernementaux et ecclésiastiques qu'au niveau des individus ou associations privées. Dans les sociétés africaines pluralistes, la dimension confessionnelle est souvent absente et les musulmans et les chrétiens s'engagent dans des entreprises communes. Souvent aussi la différence religieuse produit une distinction sociale empêchant la coopération. Ici le défi à l'Eglise est de prendre l'initiative en promouvant la coopération avec les musulmans.

Le langage d'affirmation

La coopération est un terrain favorable à la création de la confiance. La confiance peut se confirmer aussi par des gestes de reconnaissance, comme salutations ou visites à l'occasion de fêtes religieuses. Dans ces occasions on peut souligner ce qui unit les musulmans et les chrétiens, tout en évitant des affirmations ou négations faciles sur les fondements de l'Islam, comme l'origine du Qur'ân et l'autorité de Muhammad, où les distinctions à faire sont complexes et une déclaration publique peut facilement être malentendue et créer la confusion. Néanmoins, il ne faut pas se taire ou se contenter des protestations en cas de conflit. Des mots constructifs encourageant le bien dans l'autre peuvent contribuer à la confiance mutuelle et faciliter le dialogue.

Le langage d'exemple de vie et de témoignage partagé

L'exemple d'une vie droite de prière et d'amour du prochain est la plus puissante forme de dialogue. Un tel exemple est valable en soi même, mais là où les chrétiens et les musulmans ont des rapport mutue